#24 – L’image du mois : quand « Cella » écrit à « Mio », le couple Casanova dans la Drôle de guerre

#24 – L’image du mois : quand « Cella » écrit à « Mio », le couple Casanova dans la Drôle de guerre

Quand « Cella » écrit à « Mio » : le couple Casanova dans la Drôle de guerre

Vincentella Périni et Laurent Casanova se rencontrent à Paris au début des années 1930 au sein du cercle corse de l’Union fédérale étudiante (UFE). Vincentella, née en Corse et étudiante à l’école dentaire de Paris, est secrétaire du groupe de l’UFE de la faculté de médecine ; lui, Corse né en Algérie, poursuit des études en droit et est depuis 1927 l’un des secrétaires de l’UFE. Tous deux sont militants des Jeunesses communistes dès la fin des années 1920.

Depuis leur mariage en décembre 1933, Vincentella est connue sous le nom de Danielle Casanova. Après ses études, elle s’installe comme chirurgien-dentiste dans un petit cabinet du 6e arrondissement de Paris. Les époux, militants antimilitaristes et anticolonialistes, occupent d’importantes responsabilités au sein des organisations communistes. En 1936 Danielle devient cofondatrice et secrétaire générale de l’Union des jeunes filles de France (UJFF) et Laurent secrétaire particulier de Maurice Thorez au siège du Parti communiste français (PCF).

Laurent Casanova, ligne Maginot, 1940.
Laurent Casanova sur la ligne Maginot, février 1940. Photographie colorisée par/pour son neveu ou sa nièce « Néné ». MRN/Fonds J. Dumeix
Laurent Casanova, régiment de pionniers, ligne Maginot, 1940.
Laurent Casanova au sein du régiment de pionniers réalisant des travaux de terrassement sur la ligne Maginot, 1940. MRN/Fonds J. Dumeix

En septembre 1939, suite à la déclaration de guerre, Laurent Casanova est mobilisé. Il rejoint un régiment de pionniers stationné sur la ligne Maginot, où il prend part à des travaux de terrassement.

La dissolution des organisations communistes par le décret-loi du 26 septembre 1939 – conséquence de l’approbation du Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 par la IIIe Internationale – oblige Danielle à suspendre ses activités politiques.

Jusqu’en novembre, Danielle écrit une dizaine de lettres à « Mio », qu’elle signe « ta Cella ». Elle y donne des nouvelles de leurs proches, lui demande de lui écrire plus souvent et de ne pas oublier d’écrire à sa mère, restée en Algérie. Les conditions météorologiques sont assez mauvaises et Danielle s’inquiète de ce que sera l’hiver. Elle lui envoie régulièrement des vêtements chauds, comme des passe-montagne, des moufles, une couverture, un pull-over tricoté ou des chemises, qu’elle a du mal à trouver à la taille et au goût de son époux du fait des restrictions. Elle lui expédie également des vivres, du cognac, des médicaments, du papier à lettre, de l’encre à stylo ou des cigares pour ses « copains ».

Son cabinet dentaire est souvent mentionné dans ses lettres : la clientèle est en baisse et le rapport est faible. Elle continue cependant à exercer au dispensaire de Villejuif pendant un temps. Il est aussi souvent question d’oisiveté et de besoin d’occuper son temps depuis la dissolution des organisations communistes. Elle parle de jeux, des films vus au cinéma – Le Roman de Marguerite Gautier (1936), avec Greta Garbo qui « joue très bien » et Vous n’avez rien à déclarer (1937), « aussi idiot que rigolo » – et se lamente de ne plus pouvoir aller au théâtre ni à l’opéra, sa passion. La jeunesse – des JC et de l’UJFF – lui manque, mais elle compense par la lecture et l’étude. Elle se moque des conseils que la presse donne aux femmes d’hommes mobilisés et des reproches à celles qui les gâtent trop dans leurs colis. Sa santé et son moral sont bons : elle dit ne pas perdre son humeur gaie et pense être « une réclame vivante de confiance et d’espoir ». Comme leur passé fut heureux et leur présent difficile, elle est persuadée que leur avenir ne pourra être que plus beau. Danielle décrit un Paris aux quartiers morts, aux maisons vides et aux volets fermés, suite aux évacuations. Elle finit par quitter la capitale en octobre par peur des bombardements – « que veux-tu, je ne suis qu’une femme » – et ferme son cabinet dentaire. Il n’est pas question dans ces lettres des activités de propagande que les époux ont menés en direction des soldats.

Lettres de Danielle à Laurent Casanova, septembre-novembre 1939.
Lettres de Danielle à Laurent Casanova, septembre-novembre 1939. MRN/Fonds J. Dumeix

Laurent sera fait prisonnier par les Allemands en mai 1940. Danielle, qui dirige la mise en place des comités populaires féminins en région parisienne et dans l’ensemble de la zone occupée, ainsi que le mouvement des femmes de prisonniers de guerre auquel elle attachait une grande importance, sera arrêtée en février 1942. Internée à la Santé puis à Romainville en août, elle est déportée le 24 janvier 1943 à Auschwitz, où elle meurt le 10 mai en héroïne de la Résistance. Laurent réussit à s’évader après deux tentatives et arrive à Paris le 1er mai 1942 où il apprend l’arrestation de son épouse. Par la suite il prend part aux activités de direction des FTP aux côtés de Pierre Villon et de Charles Tillon. Après la Libération, il est élu député de la Seine-et-Marne puis devient ministre des Anciens combattants et Victimes de la guerre dans deux gouvernements couvrant l’année 1946.

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