#24 – L’objet du mois : vaisselle de la Kriegsmarine
Vaisselle de la Kriegsmarine trouvée au buffet de la gare
En 1981, au buffet de la gare de Francfort-sur-le-Main (Allemagne), un touriste français passe une commande. Retournant la sous-tasse en porcelaine blanche ornée d’un liseré rouge, il découvre avec stupeur que celle-ci, d’apparence banale, est ornée des emblèmes du Reich : un aigle stylisé surmontant une croix gammée.
La lettre « M », initiale de « Marine », constitue le marquage de dotation et permet d’identifier la provenance de cette sous-tasse : il s’agit d’un service utilisé par les sous-officiers de la Kriegsmarine (le liseré rouge en bordure est leur apanage). Le sigle « KPM », accompagné d’une couronne murale, est celui de la manufacture royale de porcelaine de Berlin (Königliche Porzellan-Manufaktur Berlin). C’est celui que l’on trouve le plus couramment sur la vaisselle nazie.
Si des pièces de ce type sont réalisées dès 1937, leur production n’est abondante qu’à partir de 1941, date de fabrication indiquée sur cette pièce. La centralisation de la production et l’autonomisation des usines (chacune d’entre elles se consacrant spécifiquement à un type de produit) voulues par Albert Speer, architecte proche de Hitler devenu ministre de l’Armement et de la Production de guerre du Reich en 1942, accentue encore cette production. Chaque faïencerie allemande propose un catalogue de pièces de vaisselle marquées des emblèmes nazis à partir duquel les organisations nationales-socialistes peuvent passer commande. Les cahiers des charges sont émis depuis Berlin, mais la chaîne de production se ramifie à mesure que le Reich conquiert des territoires : à partir de 1941, certaines faïenceries françaises sont également chargées de produire ce type de vaisselle.
En 1981, année même de la mort de Speer, la tasse est redécouverte par un membre de la Fédération des Anciens combattants de la R.A.T.P. Celui-ci décide de rapporter l’objet en France et de le donner au Musée de la Résistance nationale afin que soit enseignée l’histoire de cette période.
Il est à noter qu’un important travail de mémoire a été réalisé en Allemagne, confrontant les Allemands à leur passé et leur permettant de mieux appréhender celui-ci, sans renier la responsabilité morale du peuple. Les années 1960-1970 ont notamment vu la tenue des procès des responsables du camp d’Auschwitz à Francfort-sur-le-Main de 1963 à 1965. Ils ont fait prendre conscience à l’opinion publique de l’ampleur de la participation des Allemands « ordinaires » aux crimes nazis.
Sur ces questions, se reporter aux travaux de Stephan Martens (dir.), La France, l’Allemagne et la Seconde Guerre mondiale : quelles mémoires ?, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007.