#14 – L’image du mois : la satire du casque à pointe
Soldat allemand faisant la circulation, place de la Concorde à Paris, fin juillet 1940. Photographie pour le journal Le Matin. Coll. MRN
Prise au début de l’Occupation, cette photographie est significative des premiers temps de la présence allemande à Paris : soldats en uniforme, signalétique allemande, rues désertes, circulation limitée et se faisant essentiellement à vélo, etc.
La photographie, produite pour la presse, interroge par ailleurs par son cadrage et par l’intention supposée du photo-journaliste. Celui-ci semble en effet se positionner sciemment de manière à ce qu’un élément de l’architecture urbaine et monumentale parisienne – ici l’obélisque de la Concorde – compose un casque à pointe (ou « couvre-boche ») au soldat allemand.
Cette composition particulière se retrouve dans plusieurs photographies tirées d’un même reportage, laissant à penser que s’exprime ainsi une critique acerbe du militarisme prussien et de la barbarie allemande, pareillement caricaturés en 1870-1871 et lors de la Première Guerre mondiale. Le caractère satirique de l’image se trouve également renforcé par le pantomime du soldat régulant une circulation quasi inexistante.
Produit à la même date, un second reportage couvre les résultats du sac par la soldatesque allemande d’une villa à Élisabethville (sur les communes d’Aubergenville et d’Épône dans l’actuel département des Yvelines). Figurant des débris d’objets d’art (vases, horlogerie) ainsi que de nombreuses bouteilles de vin jonchant le sol du parc de la villa, ce sujet semble mettre en scène l’inculture et la sauvagerie de l’occupant.
La présence de ces reportages dans le fonds photographique de presse conservé par le MRN et l’audace du photographe en ces premiers temps d’Occupation sont d’autant plus surprenantes que ces images sont produites pour le journal Le Matin. Ce quotidien est le premier autorisé à reparaître, le 17 juin 1940, avec l’aval des forces allemandes d’Occupation.
Bien qu’il bénéficie de la bienveillance des organismes de censure et propagande allemands (Propaganda-Abteilung et Ambassade d’Allemagne dirigée par Otto Abetz) et relaie avec zèle les communiqués de l’occupant et les orientations de la politique de collaboration de l’État français, le journal demeure étroitement surveillé par l’Occupant. Aussi ces images inédites n’ont-elles pas connu de publication dans la presse de la collaboration.