#26 – L’archive du mois : Le torchon de la Kriegsmarine et le rescapé du Cap Arcona

#26 – L’archive du mois : Le torchon de la Kriegsmarine et le rescapé du Cap Arcona

En 1940, l’instituteur alsacien Henri Solbach (1920-2001) refuse d’intégrer l’armée allemande lorsque l’Alsace est annexée par le Reich. Il gagne la Saône-et-Loire et s’engage dans la Résistance en 1942, cachant des armes ou le poste émetteur de son groupe. Le 24 mars 1944, il est arrêté et déporté à Neuengamme (Allemagne) par le convoi du 21 mai sous le numéro matricule 30678. Il est affecté au Kommando de Watenstedt à la fabrication d’armes. Il tente en vain de s’évader, ce qui lui vaut le transfert au camp central et la mise sous surveillance étroite.

À partir de mars 1945, face à l’avancée des troupes alliées et dans une folle logique jusqu’au-boutiste, les nazis évacuent les camps de concentration au moyen de « Marches de la mort » ou de transports meurtriers. Les convois de détenus de Neuengamme sont dirigés vers des mouroirs comme Bergen-Belsen, Sandbostel ou Wöbbelin, d’autres sont exterminés comme à Gardelegen. Par manque de place dans les camps encore sous contrôle allemand, une autre partie des déportés est conduite vers la baie de Lübeck. Là, trois navires réquisitionnés attendent : les cargos Thielbek et Athen, amarrés au port, et le paquebot de grand luxe Cap Arcona, mouillant au large de Neustadt. Plus de 9 000 déportés, dont Henri Solbach, y sont embarqués à partir du 19 avril. L’enfer de Neuengamme est ainsi prolongé en mer sur ces camps de concentration flottants. Les conditions à bord sont terribles, aussi bien dans les cales des cargos que dans les salons et les cabines du paquebot.

Les Britanniques, qui arrivent à Lübeck le 2 mai, prennent les navires pour des transports de troupes allemandes en repli. La Royal Air Force (RAF) reçoit l’ordre de les attaquer et, le 3 mai, elle les mitraille et bombarde à plusieurs reprises. L’Athen hisse le drapeau blanc et se réfugie au port de Neustadt-en-Holstein. Mais des incendies se déclarent sur les deux autres vaisseaux. Le Thielbek sombre et le Cap Arcona, en flammes, se couche sur son flanc tribord. À bord, les prisonniers sont pris de panique. Ceux qui réussissent à échapper au piège mortel des navires embrasés et aux tirs des SS se retrouvent dans les eaux glaciales de la Baltique. Du fait de leur extrême affaiblissement, leurs chances de survie sont d’autant plus réduites. Environ 7 000 détenus périssent.

Des 2 800 déportés du Thielbek seuls 50 ont survécu, dont 4 Français. Du Cap Arcona, 350 des 4000 prisonniers survivent, dont 11 Français, parmi lesquels Henri Solbach. En fin de journée les Britanniques envoient une unité récupérer les survivants du paquebot. Les 1998 détenus (dont plusieurs dizaines de Français) enfermés à bord de l’Athen, abandonné par son équipage et les SS au port de Neustadt, sont sains et saufs à l’arrivée des Britanniques dans la ville.

Henri Solbach parvient à gagner l’ancienne base-école de la Kriegsmarine de Neustadt, prise par les Britanniques, avec des dizaines d’autres déportés. Il y participe au service d’entraide, d’hygiène et de nourriture, puis à l’organisation du regroupement de ses camarades survivants, de leur prise en charge et de leur acheminement vers la France, avant de rejoindre lui-même Lyon pour retrouver sa famille, le 21 mai 1945. De ce passage à la base école, il rapporte ce torchon de cuisine « Kriegsmarine ».

Après son retour, Henri Solbach reprend son poste d’instituteur, puis devient professeur de collège en 1957 et principal-adjoint en 1971. Il témoigne de son expérience à plusieurs reprises.

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