Commémorer l’appel du 18 Juin
Pour commémorer le 80e anniversaire de l’appel du 18 Juin du général de Gaulle, le MRN vous propose de découvrir ce texte de Jean-Louis Crémieux-Brilhac qui fut le président de son conseil scientifique racontant comment il a entendu parler pour la première fois du général de Gaulle, comment il a pris connaissance de son appel et ce qu’a d’emblée représenté pour lui la France libre.
L’appel du 18 juin 1940
Vu par Jean-Louis Crémieux-Brilhac en 2010
“Je n’ai pas entendu l’appel du 18 juin et je ne crois pas en avoir eu connaissance avant la fin de 1941, mais dès le mois de juillet 1940 j’ai connu le défi relevé par de Gaulle. Je l’ai appris par les Allemands. J’avais été fait prisonnier, je venais d’arriver à l’OFLAG 2D, en Poméranie ; les Allemands avaient entrepris de confectionner à l’intention de leurs prisonniers et plus spécialement des officiers prisonniers un petit journal en français intitulé Le Trait d’union, qui voulait promouvoir la compréhension entre vainqueurs et vaincus. Dès son premier numéro, Le Trait d’union stigmatisait « de Gaulle, le général félon ». Ils voulaient sans aucun doute éviter que nous en fassions un symbole ou un héros.L’effondrement des esprits était tel que nous y avons d’abord attaché peu d’importance : la guerre passait pour finie, on faisait confiance au maréchal Pétain pour protéger les nôtres contre les prétentions des Allemands et les abus de l’Occupation.
Autour du 1er octobre 1940, je fus transféré dans un autre camp. Le hasard fit qu’en y arrivant je rencontrai un de mes amis d’enfance, aspirant comme moi. Depuis juin, l’Angleterre avait refusé les propositions de paix d’Hitler, elle n’avait pas été envahie, elle résistait aux bombardements de Londres dont nous lisions les péripéties terrifiantes dans les journaux allemands, et puisque la guerre continuait et il me paraissait probable qu’elle durerait longtemps. Je dis à mon ami : “Claude, je vais m’évader, tu viens avec moi”. Il me répondit : “Tu galèjes, à Noël nous serons à la maison !” Il allait passer cinq Noël dans les camps allemands avant de retrouver sa belle maison nîmoise.
J’ai su par la suite que dès le mois de février 1941, les aspirants de notre baraque avaient placardé une affichette qui représentait une croix de Lorraine avec la mention : « Club des Francs Gaullois », Gaullois avec deux L. Comment mes camarades avaient-ils su que la croix de Lorraine était l’insigne des Français Libres, je l’ignore. C’était en tout cas la preuve que certains au moins d’entre eux avaient dépassé le stade de la résignation : cette affiche témoignait de leur l’espoir.
De mon côté, je n’avais pas attendu pour prendre la clef des champs. Après les combats de la défaite et l’abîme de la captivité, j’a mesuré d’autant mieux le privilège de me retrouver à Londres, membre de la fraternité combattante des Français Libres. Assistant au discours que de Gaulle prononça à l’Albert Hall le 15 novembre 1941, je l’entendis expliquer les trois devises qui étaient d’après lui celles de la France Libre :
« Honneur et Patrie, entendant par là que la patrie ne pourra revivre que dans l’air de la victoire […], Liberté-Égalité Fraternité, parce que notre volonté est de rester fidèles aux principes démocratiques que nos ancêtres ont tiré du génie de notre race et qui sont l’enjeu de cette guerre pour la vie ou la mort », et […] Libération dans la plus large acception du terme ».
Ce qu’incarnait la France Libre, c’était bien ce que je pouvais en attendre, l’incarnation de la Patrie, l’incarnation de la République combattante et la promesse pour ses fils d’un avenir plus lumineux et plus juste.
Je vis un peu partout aux murs l’affiche tricolore signée de Gaulle qui proclamait : « La France a perdu une bataille, mais la France n‘a pas perdu la guerre ». J’eus l’occasion de lire l’appel du 18 juin. Je compris du même coup les vraies raisons de notre défaite : elle ne résultait pas de la défaillance coupable de tout notre peuple.
Déjà la France Libre, en combattant et en disant la vérité, nous délivrait de la honte.
Soixante ans plus tard [pour rappel le texte a été rédigé en 2010], l’image que nous avons de nous-mêmes et de la France ne serait pas la même sans le combat mené par la France Libre, et avec elle la Résistance intérieure, à partir du 18 juin 1940.”
Le texte peut être téléchargé ici
Jean-Louis Crémieux-Brilhac (1917-2015)
Étudiant engagé dès les années 1930, il est le plus jeune adhérent du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Prisonnier de guerre en 1940, il s’évade six mois plus tard de son Stalag de Poméranie et passe clandestinement en URSS où il est arrêté et emprisonné jusqu’à la rupture du Pacte germano-soviétique en juin 1941. Il rejoint l’Angleterre et s’engage dans les Forces françaises libres. En septembre 1941, il devient le secrétaire du Comité exécutif de propagande et s’occupe du service de diffusion clandestine de la France libre (printemps 1942-août 1944).
Après-guerre, il est le cofondateur de la Documentation française dont il devient le directeur adjoint jusqu’en 1969, puis directeur jusqu’en 1982. Il est également l’animateur avec Jacques Monod et le mathématicien André Lichnerowicz du Mouvement pour l’expansion de la recherche scientifique (1956-1972). Après une carrière de haut fonctionnaire, il devient historien. Ses principales œuvres, Les Français de l’an 40 et La France libre renouvellent profondément l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale. C’est toujours avec passion qu’il a transmis l’histoire de la Résistance.
Il a présidé jusqu’à son décès le Conseil scientifique du Musée de la Résistance nationale.