Fondations pour une République nouvelle

Fondations pour une République nouvelle

L’Éducation nouvelle dans les projets de réforme de l’enseignement écrits par des mouvements de la Résistance française sous l’occupation nazie

Introduction

La libération du pays réalisée, la Résistance rétablit immédiatement la République, toutes les libertés (individuelles et collectives) et redonne la parole au peuple comme elle s’y était engagée. Elle poursuit aussi sa mission en mettant en œuvre, sous la présidence du général de Gaulle, le programme de transformations démocratiques, politiques, économiques, sociales et culturelles le plus profond et le plus vaste entrepris depuis la Révolution française. Le programme est fondé sur les principes énoncés par le général de Gaulle dans sa « Déclaration aux mouvements » en avril 1942 et par le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) en mars 1944 au coeur duquel se trouve la refondation de la République : une République démocratique et sociale (droit de vote des femmes ; droits nouveaux aux travailleurs ; sécurité sociale ; retraite ; etc.).

Parmi les chantiers majeurs qui sont mis en œuvre, l’enfance et la jeunesse, l’enseignement, la recherche et la culture, tiennent une place importante. Une des pièces maîtresses de ces chantiers, restée dans l’histoire sous le nom de projet ou de plan Langevin-Wallon (deux résistants), porte réforme de l’enseignement. S’il est hors de propos ici d’en faire l’étude, nous devons constater que le texte d’introduction du projet fait référence aux projets de réforme de l’enseignement des résistants de l’extérieur1 et de l’intérieur, et inscrit l’Éducation nouvelle comme « inspiration et renouvellement » des pratiques pédagogiques du nouveau système à naître.

Dans le même temps, il est intéressant de remarquer que la commission d’élaboration du projet est largement ouverte à la société (une affaire de citoyens et pas seulement une affaire de spécialistes) dans la continuité des pratiques démocratiques de la Résistance et que les questions d’enseignement et de culture sont au cœur des programmes et des revendications de nombres d’associations et syndicats, en premier lieu des Forces unies de la Jeunesse patriotique (FUJP)2. Enfin, que dans un même mouvement, se développent une multitude d’expériences culturelles et éducatives conduites par des résistants, le plus souvent des jeunes.

De ces constats naissent trois questions qui forment le fil conducteur de la recherche :

I. Quels sont ces projets nés dans la clandestinité ?

II. Quels sont les buts et les contenus de ces projets ?

III. Quelle place accordent-t-ils à l’Éducation nouvelle ? dans quelle visée de société ? Quels échos et prolongements ont ces projets dans le programme du CNR et dans le plan Langevin-Wallon ?


Quels sont ces projets nés dans la clandestinité ?

Répondre à ces questions m’engageait dans un travail de recherche dans les collections de publications clandestines ainsi que dans les archives de mouvements ou personnalités conservées au musée de la Résistance nationale.

Le résultat de la collecte est quantitativement maigre : trois brochures épaisses ; un numéro spécial d’un journal clandestin ;  une suite de trois  articles dans un autre journal clandestin3.

Quels en sont les auteurs de ces projets ? Quelle période les voit naître, dans quel contexte ?

Un premier texte de quatre pages intitulé « Réflexion sur l’éducation » paraît en février 1942 dans les colonnes du journal clandestin Défense de la France sous la signature de Indomitus (pseudonyme de Philippe Viannay, un des fondateurs du mouvement, étudiant en philosophie, catholique, conservateur) et de Klein (pseudonyme du professeur Dain, enseignant à l’Institut catholique de Paris et membre du mouvement « Défense de la France »). Alors que les forces vives de ce groupe de résistants sont composées majoritairement d’étudiants et de lycéens, pour les deux rédacteurs encore proches idéologiquement de certains thèmes de la Révolution nationale, mais adversaires de l’État français et de la collaboration, il s’agit de faire un point critique des réformes de l’enseignement accomplies par les ministres successifs (Ripert, Chevalier, Carcopino). 

La seconde publication (122 pages) vraisemblablement de la fin 1942 est le fait de l’Organisation civile et militaire  (OCM). Intitulée « La réforme de la vie culturelle » c’est le quatrième volet d’un ensemble de huit formant un plan général de transformation de la société française à la Libération (politique, culturel, économique et social [ou :, social, etc.]). Le projet global est publié en quatre éditions successives de Les Cahiers : études pour une nouvelle Révolution française. Une trentaine de résistants appartenant tous aux élites de la société française (dirigeants politiques, hauts fonctionnaires, cadres supérieurs de l’industrie et du commerce, juristes, universitaires, etc.) ont produit collectivement ces études. Celle sur l’enseignement et la culture est écrite probablement par Hélène Campinchi, Max Sorre, Georges Jamati, Claude Bellanger, André Sainte-Laguë. Il est à noter la présence de proches de Jean Zay dans ce collectif. 

Ce texte est rédigé et publié dans la première phase de construction de l’unité des deux pôles de la Résistance (intérieur et extérieur) autour de l’idée d’une République nouvelle, démocratique et sociale (« Déclaration aux mouvements » du général de Gaulle en avril 1942 et création de la France combattante le 14 juillet 1942) au moment où l’OCM souhaite être reconnue comme le relais autorisé en métropole de la France combattante en construction.

déclaration-aux-mouvements
Libération. Organe des forces de Résistance française, n° 13 (3 juin 1942), AAMRN/collection historique, 1985.

La troisième étude (62 pages), portée par le Parti communiste français (PCF), paraît en septembre 1943 sous la plume de Georges Cogniot4. Intitulée Esquisse d’une politique française de l’enseignement, elle se présente comme une contribution à la réflexion collective qui anime l’ensemble de la Résistance désormais unie au sein du Conseil national de la Résistance (CNR, 27 mai 1943) pour l’élaboration d’un programme commun d’actions pour la libération du pays et de refondation de la République. L’Esquisse prolonge le débat lancé l’année précédente par l’OCM. Sa publication par le PCF est un acte fort, parmi d’autres, pour un parti qui se positionne alors comme un parti de gouvernement. Elle se fait écho du discours radiodiffusé en novembre 1942 du vice-président des États-Unis, Henry Agard Wallace, sur l’avenir du monde après la victoire des nations unies : « un monde où la démocratie future doit s’étendre à tous les domaines : démocratie politique, égalité des races, (…) et démocratie de l‘enseignement».

La quatrième publication (24 pages) intitulée L’enseignement dans la France nouvelle – texte proposé par la fédération des Jeunesses communistes (JC) pour un chapitre de l’enseignement à la charte de la jeunesse élaborée par les FUJPparaît en mai 1944. Elle s’inscrit comme une contribution des organisations de jeunesse pour donner corps aux orientations tracées par le programme du CNR5. Elle prolonge des débats entre les organisations de la Résistance qui ont conduit à la rédaction du programme du CNR (les Jeunes communistes et les jeunes de l’OCM forment les deux organisations les plus importantes des FUJP). Elle se fait l’écho des lois progressistes sur l’enseignement adoptées par le Parlement anglais à la fin de l’année 1943 ainsi que des premiers travaux du Comité français de la Libération nationale (CFLN)6 et de l’Assemblée d’Alger. 

  • programme-CNR
  • Programme-CNR
  • programme-CNR

Enfin, dans la période de la Libération, en mai, juin et juillet 1944, trois articles (une page chacun) intitulés « L’école d’hier et de demain » paraissent dans le journal clandestin l’École Libératrice. Ils sont rédigés par René Garmy, responsable syndical pour l’Ouest de Paris. Les trois textes marquent l’entrée dans le débat du syndicalisme enseignant ayant reconstitué depuis peu son unité. La démarche s’apparente à celle des JC et des FUJP.  Les trois contributions s’appuyent explicitement sur l’Esquisse du PCF.

résistance, école
L’école libératrice. Organe du syndicat national des instituteurs, n° 4 (juin 1944).
AAMRN/fonds Auguste Gillot, 1999.

Il est intéressant de constater que ces productions entrent en résonance avec les grands événements internationaux et nationaux de la guerre en cours (en symbiose avec les grandes étapes de construction de l’union et de l’unité des deux pôles, intérieur et extérieur, de la Résistance, et de la réappropriation et refondation de la République) et que l’élaboration de ces projets s’effectue dans le cadre de débats démocratiques entre formations de la Résistance. Leurs échanges sont largement ouverts sur cette question de société qui intéresse, pensent-ils, l’ensemble des citoyens et pas seulement les spécialistes.

II. Quelles sont les buts et les contenus de ces projets ?

1- Les préalables

Pour cette étude, je n’ai pas pris en compte le premier texte paru dans Défense de la France : un texte trop précoce pour porter une démarche prospective. 

Les quatre autres contributions refusent, catégoriquement, et demandent la révocation des réformes de Vichy qui ne sont que des importations étrangères, cléricales (y compris sous la plume du professeur Dain de l’Institut Catholique), antidémocratiques et caporalistes.

Tous rendent un hommage critique à l’enseignement de la IIIe République. Ils soulignent ses côtés positifs. Ils saluent les pères fondateurs d’une école primaire laïque, gratuite, obligatoire, plus populaire et plus libérale que dans la plupart des pays démocratiques développés. Ils louent une école « institutrice de raison » qui faisait appel à la compréhension, à la réflexion, au discernement, qui habituait à penser, qui formait des esprits critiques. Ils poursuivent par un hommage aux Écoles normales, aux maîtres et aux enseignants, distinguant leur formation, leur qualité professionnelle ainsi que leur engagement en Résistance.

Mais aucune des contributions n’ignore les faiblesses et les aspects négatifs de cette école fondée sur  un système d’enseignement qui était imparfaitement démocratique avec ses filières et ses orientations reproduisant et confortant les divisions et les inégalités sociales. Pire, comme pour la République défunte, ils pointent qu’il existait une distorsion absolue entre les principes affichés ou enseignés et la réalité du système. Ils évoquent une école qui ne prenait pas en compte la personnalité globale de l’enfant (notamment en dissociant l’instruction et l’éducation), ses goûts, ses aptitudes et ses capacités d’évolution de changement (des sélections trop précoces, peu fondées, irréversibles avec des spécialisations trop hâtives). Ils dénoncent un système ancien coupé du monde réel contemporain « entre 4 murs» appuyé sur une pédagogie « statique, abstraite, livresque», accordant une trop grande place aux concours et aux examens.

Enfin, ils remarquent que cette école, dans l’entre-deux-guerres, avait entretenu une confusion funeste entre laïcité et neutralisme, cause d’un désarmement des esprits face aux dangers. 

Pour tous, complétant le constat de faillite de la IIIe République (un effondrement militaire, politique et moral dû à la capitulation ou à la trahison des élites), cet examen critique les conduit à proposer non des réformes de détail mais une révision complète de tous les principes pour fonder une République nouvelle, une nouvelle démocratie, une nouvelle citoyenneté, de nouvelles élites issues du Peuple.

2- Les principes d’une réforme ?

Au-delà des différences entre les auteurs, au-delà de différences dans la nature de leurs études ou contributions, une unité de vue parfaite se dégage quant aux principes sur lesquels doit  être fondée la réforme, les buts à atteindre, les moyens à mettre en œuvre.

Les principes fondamentaux de la réforme découlent implicitement de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et tout particulièrement sur son préambule et ses articles premier, 6 et 117

Tous réaffirment les principes fondateurs de l’école républicaine : laïque, gratuite et obligatoire.

3- Le but d’une réforme ?

Après l’expérience de la guerre et du fascisme, pour les auteurs, dans la France libérée l’enseignement et la culture deviennent les piliers de la nouvelle démocratie et participent à la transformation en profondeur de l’ordre social « sans distinction de classes car nous voulons la suppression des classes»8. À cela, ils ajoutent que la Nation a un devoir de justice et de reconnaissance envers les classes populaires et leurs enfants qui seuls dans leur masse l’ont défendue. 

Ainsi, le seul but d’une réforme de l’enseignement avancé par tous les auteurs est de faire vivre, sans limites et sans discrimination un nouveau droit démocratique établissant l’égal accès de tous à l’enseignement et à la culture. Avec l’objectif de contribuer au développement de tout l’être, un développement sur toute la vie : un développement de la personnalité (s’accomplir, se réaliser) ; un développement de l’être social, du citoyen. Il s’agit pour eux de conjuguer culture, formation professionnelle et esprit civique : donner une raison de vivre, d’agir, de créer.

4- Les moyens d’une réforme ?

Pour les auteurs des différents projets, les principes et les buts énoncés seraient formels sans des propositions concrètes sur les moyens à mettre en œuvre pour les réaliser. 

D’évidence pour tous, la mise en œuvre d’une telle politique est de la responsabilité de l’État, d’un ministère (pour l’OCM et dans une moindre mesure pour le PCF) s’intéressant à l’enseignement et à la culture (pour tous les âges de la vie) et à la jeunesse (pour toutes les actions éducatives dans le prolongement de l’école à l’exception des loisirs et des sports).

Tous, en premier lieu l’OCM, abordent presque de manière exhaustive tous les domaines d’une politique nationale de l’enseignement. Il est hors de propos ici de détailler l’ensemble des mesures. Je ne cite à titre d’exemples que quelques-uns des chapitres abordés dans les études : budget ; formation des maîtres et revalorisation de la condition des enseignants ; droit syndical des enseignants et des fonctionnaires ; constructions scolaires et architecture des nouveaux établissements ; etc.

Cohérents avec les principes et les buts qu’ils ont énoncés, concernant l’organisation des études et de la vie scolaire, tous s’accordent à demander :

– un allongement conséquent de la scolarité obligatoire (16 voire 18 ans) avec pour objectif de rendre accessible à tous l’enseignement secondaire, à court terme. Dans une phase transitoire, ils proposent le maintien des branches existantes mais réformées et bénéficiant de moyens égaux, et ils font le pari de temps d’études et d’apprentissage tout au long de la vie.

– une revalorisation de la culture générale dans toutes les branches. Ils souhaitent que soit mis fin, d’une part, à l’opposition entre spécialisation, formation professionnelle et culture générale et, d’autre part, aux spécialisations pointues et précoces. Ces dernières seraient conçues comme des compléments à la culture générale.

– une égale considération de tous les enseignements en dépassant l’opposition entre l’intellectuel et le manuel et en développant la culture scientifique, technique, artistique ainsi que l’éducation physique et l’éducation morale et civique.

– la création d’une politique d’orientation (non sélective, non discriminatoire, réversible et évolutive) en fonction des aptitudes et des goûts, sur des critères fondés en créant un service d’orientation doté d’outils ; l’harmonisation des cycles et des programmes permettant la création de classes passerelles à tous les niveaux dans toutes les branches. Parallèlement à cette politique, ils proposent d’organiser des enseignements de rattrapage et de perfectionnement en premier lieu pour ceux qui, entrés dans la vie active, veulent reprendre des études générales et professionnelles. Enfin, le système des concours et des examens serait réformé. 

Fidèles à leurs principes, tous les auteurs réfléchissent à la place nouvelle à accorder aux enfants et adolescents handicapés, difficiles ou délinquants. 

Mais, en se fondant sur l’analyse des causes de l’échec social des réformes scolaires en Suède, les résistants ajoutent que toutes ces dispositions seraient inopérantes si, en plus de la gratuité du primaire étendue effectivement au secondaire, des moyens économiques d’accompagnement n’étaient pas institués. Ils proposent de revaloriser le système des bourses et de le compléter par la création d’allocations compensatrices, de bourses de perfectionnement, de bourses d’installation, de primes de foyer, de présalaires pour les lycéens et les étudiants de famille pauvre notamment.

Les projets anticipent tous sur la nécessaire évolution des statuts des peuples de l’Empire colonial et étendent donc leurs propositions de réforme aux populations de ces territoires. L’OCM se limite à pointer la question et le PCF, surtout les JC, développent un programme spécifique. 

Enfin dans les circonstances de la fin de la guerre, les JC complètent leurs propositions par un programme particulier de réinsertion de l’enfance et de la jeunesse victime de la guerre : prisonniers de guerre, requis du Service du travail obligatoire, emprisonnés, déportés, jeunes cachés (Juifs et enfants de résistants), jeunes combattants, etc.

Mais pour les auteurs des différents projets la cohérence entre les principes, les buts et les moyens de l’édifice réformé ne peut être assurée que par une rénovation pédagogique profonde : des objectifs, des pratiques et des méthodes du système scolaire.

III. Quelle place pour l’éducation nouvelle ?

Pour tous, je rappelle que les principes et les buts de la réforme que les résistants proposent visent à réaliser l’épanouissement complet d’Hommes et de citoyens libres dans une société démocratique et sociale. Aussi, implicitement pour l’OCM et explicitement pour les autres, leurs projets se tournent vers l’éducation nouvelle. Chacun, à sa manière, puise un esprit et des principes auprès des philosophies humanistes (de Rabelais à Jean-Jacques Rousseau) ou des travaux des pères fondateurs de l’enseignement primaire et des théoriciens ou praticiens français ou étrangers de l’éducation nouvelle depuis le début du siècle9.

Pour réaliser les principes et atteindre ses buts, le système scolaire, pensent-ils, doit se fixer comme objectifs le développement de toutes les potentialités de l’intelligence humaine : observation, raison, imagination et création.

Ils appellent de leurs vœux que se développe ces potentialités non plus de manière conflictuelle mais naturellement, en symbiose avec les réalités et les questionnements de la société et du monde réel : parce que l’école n’est pas le seul lieu d’éducation, de formation et d’apprentissage de l’enfant et de l’adolescent et que les connaissances acquises à l’école se confrontent en permanence avec cette réalité sociale extrascolaire, qu’elles ne sont pas des objets « morts », de « musée » « en soi » mais des outils pour que les jeunes se réalisent et construisent leur vie.

En conséquence, ils souhaitent que l’école en procédant à une refonte totale des programmes et une révision des rythmes scolaires libère du temps afin d’offrir aux jeunes une vie sociale active hors de ses murs :  une nouvelle place serait accordée aux œuvres complémentaires de l’enseignement et aux organisations de jeunesse ou humanitaires (dirait-on aujourd’hui) voire même, pour les plus âgés, la création d’un service social et civique. Évidemment est laissé aux jeunes un libre choix respectant les options philosophiques et confessionnelles des familles. 

Ils aspirent aussi à ce que l’école permette la découverte et la compréhension des hommes du temps présent, de leur environnement (rural et urbain), de leurs activités (grandes questions de société, vie et organisation économiques et sociales, créations contemporaines, progrès scientifiques et technologiques, etc.).

  • résistance, éducation-nouvelle

Une découverte et une compréhension que réaliserait : un aller-retour permanent entre l’école et hors les murs de l’école ; un va-et-vient critique entre théorie et pratique telles des classes promenades, des sessions de plein air, des visites d’ateliers, d’usines (liaisons organiques et non occasionnelles), des voyages en groupe, des discussions et des débats contradictoires sur des problèmes contemporains entre jeunes de formations différentes ou acteurs de la vie sociale dont l’enseignant ne serait qu’un animateur. Les JC vont jusqu’à proposer un enseignement polytechnique pour tous et une liaison école/entreprise dans le cadre d’entreprises publiques ou nationalisées.

Un tel programme nécessite l’introduction de nouvelles disciplines et se réalise par de nouvelles pratiques pédagogiques actives et de nouvelles méthodes de vérification des connaissances. 

Le programme suppose non seulement un accroissement du nombre des enseignants, une diminution des effectifs par classe, d’autres locaux, d’autres outils mais, surtout, une nouvelle formation des enseignants et des éducateurs et une plus grande liberté dans le choix de leurs méthodes afin que s’établissent de nouvelles relations entre enseignants et élèves.

Il nécessite, en outre, de donner un rôle nouveau aux conseils d’enseignant, une nouvelle place aux parents et aux acteurs de la vie sociale ainsi que l’établissement de nouvelles liaisons entre l’école et les œuvres complémentaires de l’enseignement.

Cet ensemble concourt à la formation d’un nouvel esprit civique et moral : une nouvelle conception de l’homme et de la société qui dépasse un simple enseignement civique et moral.

Conclusion

Je formulerai trois remarques en guise de conclusion.

La première remarque porte sur l’unité de vue de femmes et d’hommes, d’organisations formant un très large éventail des familles de pensée politique, philosophique et confessionnelle de la société française autour du triptyque suivant : transformation sociale, réforme de l’enseignement et rénovation pédagogique. Le fait est si rare dans la vie politique française pour qu’il mérite d’être mentionné. Cette unité se réalise dans le combat pour la libération et pour la liberté.

La seconde invite à considérer que, quelles que soient les appréciations a posteriori que l’on puisse porter sur la valeur novatrice des projets des résistants en matière d’enseignement et d’éducation pour la France libérée, leur combat pour une société nouvelle trouve sa traduction dans le programme du CNR et, plus encore, dans l’inscription dans le préambule de la Constitution de 1946 (toujours en tête de celle de 1958) de nouveaux droits fondamentaux de l’Homme et du citoyen, en premier lieu, celui à l’enseignement et à la culture10.

La troisième tend à souligner que les projets écrits, débattus démocratiquement dans la clandestinité (au péril de la vie de chacun des auteurs), préparent les hommes et les esprits aux travaux de la commission Langevin-Wallon à la Libération, voire anticipent certaines de ses propositions. L’œuvre créatrice de la Résistance (intérieure et extérieure), sous l’occupation nazie et à la Libération, est féconde y compris dans les domaines touchant à l’enseignement et à l’éducation. La poursuite de son étude est essentielle pour comprendre la France contemporaine née à la Libération.

Guy Krivopissko
Professeur d’histoire
Conservateur honoraire du Patrimoine


Notes

1. Voir la communication d’André Dany Robert.

2. FUJP : formation liée au mouvement de résistance « Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France », dont elle est l’équivalent pour les mouvements de jeunesse ; elle regroupe les Jeunesses communistes, les Jeunesses socialistes, les Jeunes de l’Organisation civile et militaire, les Jeunes Chrétiens combattants, les Jeunes Protestants patriotes, etc.

3. Sources :

• Journal clandestin, Défense de la France, n°10, 1er février 1942, numéro spécial sur l’éducation. Coll. MRN-Champigny-sur-Marne.
• Maxime Blocq Mascart, Chroniques de la Résistance suivies des études pour une nouvelle Révolution française par les groupes de l’OCM, éditions Corréa, 1945. Coll. AMRN-Champigny-sur-Marne.
• Brochure, Esquisse d’une politique française de l’enseignement, edX, 194X, reproduction in extenso de la brochure clandestine. Coll. AMRN-Champigny-sur-Marne.
• Brochure clandestine,  L’enseignement dans la France nouvelle – texte proposé par la fédération des Jeunesses communistes (JC) pour un chapitre de l’enseignement à la charte de la jeunesse élaborée par les FUJP , 1944. Coll. AMRN-Champigny-sur-Marne.
• Journal clandestin, l’École Libératrice,  mai, juin et juillet 1944. Coll. AMRN-Champigny-sur-Marne.

4. Georges Cogniot : normalien, agrégé de lettres, enseignant, rédacteur en chef de L’Humanité, député communiste, évadé du camp de Compiègne en juin 1942, un des animateurs dans la clandestinité des groupements d’intellectuels du mouvement de résistance « Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France » nés dans le sillage  de L’Université libre.

5. Deuxième partie du programme CNR intitulé « Mesures à appliquer pour la libération du territoire » , dernier paragraphe du point 4)b : « La possibilité effective pour les enfants français, de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance, mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires».

6. En novembre 1943. Le professeur de droit et résistant, René Capitant est le commissaire à l’Instruction publique du Comité français de la Libération nationale, puis le ministre de l’Education nationale du gouvernement provisoire.

7. Extraits du préambule de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :
– « le but de toute institution politique est le bonheur de tous (et de chacun) »
– « article premier : les Hommes naissent libres et égaux en droits »
– article  6 : « tous les citoyens étant égaux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents »
– article  11 : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ».

8. Maxime Blocq Mascart, op.cit., p.194.

9. Un seul nom cité celui d’Ovide Decroly et me semble-t-il quelques références implicites à Célestin Freinet. 

10. Extraits du préambule de la Constitution de 1946 (reprise en tête de celle de 1958) : 
« 1. Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
II. Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : (…)
XIII. La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».